Guerre des talents : ne misez pas tout sur le recrutement - Par Marc-André Nataf, Directeur général de Cegid Amérique du Nord
La pandémie a changé le rapport au travail des salariés, nombreux à vouloir quitter leur job pour donner plus de sens à leur existence.
Dans un marché de l’emploi sous tension, fidéliser les talents se révèle, plus qu’un bon calcul, une condition de la performance.
Le Département de l’emploi n’avait jamais connu cela. Aux États-Unis, 4,3 millions de personnes ont donné leur démission au cours du seul mois d’août dernier. Selon une enquête du site de recherche d’emploi Joblisti, 73 % des salariés américains réfléchissent activement à quitter leur poste. Le phénomène, qualifié de « great resignation » par les médias, contribue à creuser le taux de participation au marché du travail (personnes occupant un emploi ou en cherchant un), qui est tombé à seulement 61,2 % en septembre. Cette « envie d’autre chose » touche également les cadres français. Selon une récente étude de l’APECii, 40 % d’entre eux déclarent vouloir changer d’entreprise dans l’année qui vient.
La priorité : bien connaître ses talents
Des deux côtés de l’Atlantique, l’interminable pandémie que nous traversons semble avoir changé le rapport au travail. Les salariés n’hésitent plus à reconsidérer leur carrière, leurs objectifs professionnels et les conditions dans lesquelles ils exercent leur métier. C’est tout le contrat moral et social proposé jusqu’à présent par les entreprises qui se trouve profondément remis en question. Dans ce contexte de tension sur l’emploi, la bataille la plus importante à mener ne porte pas tant sur le recrutement que sur la fidélisation des talents. On ne remplit pas un tonneau percé ! De plus, il est moins cher et plus efficace de conserver les bons éléments que d’en trouver et d’en intégrer de nouveaux.
Mais pour les retenir, encore faut-il les connaître. Quelles sont les personnes dont le départ viendrait ralentir la croissance de l’entreprise et mettre à mal sa compétitivité ? Le premier réflexe consiste à s’assurer de disposer de données
fiables sur les performances de chacun, afin d’aller au-delà du seul ressenti des managers.
Viennent ensuite les mesures à adopter. D’abord, de façon défensive, s’assurer que les salaires versés sont à la hauteur de ceux pratiqués sur son marché. Ces derniers ont augmenté significativement aux États-Unis au cours de l’année écoulée. En France, des négociations sont en cours dans une quarantaine de secteurs. Sans oublier que le salaire n’est qu’une des composantes de la rémunération. L’ensemble du package doit se révéler compétitif, incluant congés, bonus et autres avantages annexes.
La qualité de l’expérience offerte au personnel s’avère également déterminante. Plus que d’un baby-foot, les collaborateurs ont besoin de perspectives pour s’épanouir. Disposent-ils des formations à même de développer leurs compétences voire leur « employabilité » future ? Existe-t-il un système de mentorat en interne ? L’entreprise est-elle capable de proposer des évolutions horizontales aussi bien que verticales ? Rien n’incite plus au départ que le fait de se sentir bloqué dans sa carrière.
Des salariés plus que jamais en quête de sens
Fidéliser, c’est aussi proposer des conditions de travail répondant aux attentes de l’époque. Le télétravail obligatoire a exacerbé le besoin d’équilibre entre vie professionnelle et vie personnelle. En France, plus de la moitié des salariés souhaitent adopter un régime hybride, entre bureau, tiers-lieux et domicileiii. Encore faut-il être capable de le proposer, c’est-à-dire avoir adapté son modèle de management et déployé les outils adéquats.
La dernière brique d’une politique de fidélisation des talents est sans doute la plus importante : il s’agit du sens donné à leur action. Les entreprises ayant en ligne de mire leurs seuls résultats financiers s’exposent à des désillusions. Définir, en y associant les salariés, une mission d’intérêt général, une raison d’être, reste la meilleure façon de leur faire ressentir l’importance de ce qu’ils accomplissent.
Faut-il s’en étonner ? Comme l’a montré le cabinet IDC en juillet dernieriv, des employés plus heureux et engagés font aussi des clients plus satisfaits et des revenus plus élevés. En définitive, cette guerre des talents s’avère peut-être une chance unique pour les entreprises d’améliorer leurs performances globales.